1 : L'enchainé en ville
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L'Ouest Américain, 1875. Plus vaste que peuplé. Et un vent chaud et persistant, qui porte la fièvre de l'or...
A l'époque, au comté de Lincoln, au Nouveau-Mexique, peu de gens savaient écrire, mais beaucoup parlaient. Il circulait des histoires, sur un bandit solitaire, portant un chapeau noir comme son destrier. Ce voyou avait une réputation de damné pour une raison bien visible. A chaque cheville, il portait un tatouage et une chaîne brisée.. Appartenant à la prison la plus connue de l'Ouest.. En signe de reconnaissance, il a de même glissé dans un maillon de sa chaîne droite, une croix noire et cloutée, comme celle d'un démon; et dans un maillon de sa chaîne gauche, une croix blanche et vitrée, comme celle d'un ange.
Il portait un grand manteau de bison, quelque soit la chaleur. Il ne montrait jamais son visage. Mais tout le monde lui connaissait une particularité. Les shérifs racontent.. Que tous ceux qui sont morts face à ce bandit, sont retrouvés bouche bée, comme s'ils avaient vu un fantôme.
On raconte aussi que quand la poudre de son revolver se sent dans les saloons, c'est déjà trop tard pour la ville entière. On écoute à plusieurs kilomètres des rafales de cris. De tirs dans la nuit. Et à cheval il s'enfuit.
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Le pianiste enchaîne ses notes, l'une après l'une. Derrière le bar, Nestor nettoie un verre, son pied tapotant le parquet usé. A une table, un peu en retrait, 4 barbus échangent les cartes et les coups à chaque discorde. La meneuse de revue brife ses danseuses à la jambe légère. Tout est habituel.
Les portes battantes se secouent brièvement par tranche de quart d'heure. Chacun prend une place discrète et n'attire plus l'attention. Alors que le pianiste change de partition pour ouvrir le bal des guiboles, un homme rentre et s'accoude au bar. Il est habillé de la tête au pied, et rien ne transpire de son corps si ce n'est une peau légèrement halée quand il se met à pointer la bouteille de whisky. Nestor lui demande de confirmer de vive voix, mais l'homme se contente de tenir son doigt fixé vers la bouteille. Le barman prend un verre et lui sert une dose que l'homme avale cul-sec. Nestor lui en propose alors une autre, qu'il décline d'un geste de la main avant de se tourner pour regarder la revue s'exécutait. Tout se déroule comme d'habitude, et les hommes aux tables sifflent et lancent des remarques machistes aux gazelles affriolantes. Nestor, qui a l'habitude de ce spectacle, n'a plus de réaction mais se plaît à regarder celles des autres. Et pour le coup, l'homme silencieux le reste tout autant malgré les appels érotiques de la scène.
Après le show, les danseuses sont mandattés à des tables précises afin de soutirer un peu d'argent à ses messieurs bien charmants. L'une d'elle s'avance maladroitement vers l'homme muet.
"- Salut mon beau. Et bien dis donc tu as fière allure ! Je suis sure que tu nous caches de vaillants muscles sous ce gros manteau.. Tu ne veux pas que je t'en débarasse..."
La phrase se faisant, elle avançait ses mains vers l'ouverture du manteau, quand la main du cow-boy vint lui interdir l'accès. Il se leva, posa un billet sur le comptoir à l'intention de Nestor, stupéfié que l'homme ne s'interesse pas à la plutôt jolie fille et il s'en alla comme il était venu.
"- Et bah lui il était pas très joyeux !" ronchonna la midinette avant de s'en aller vers un autre prétendant.
Nestor se pencha afin de récupérer le verre. Il y remarqua alors un infime détail qui le fit sourrir. Oui Nestor en avait vu des cas à son comptoir. Mais quelqu'un comme ça, jamais.
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Le jeune Henry tapait du pied dans un fer à cheval rouillé. Il jalousait tous ses hommes qui avaient droit d'entrer dans les saloons. Il aurait voulu se déguiser pour enfin voir les danseuses dont les barbus parlent tout le temps mais le seul déguisement qu'il pouvait mettre était les vieux vêtements de sa défunte mère. Or dedans il n'était pas crédible, et même en pareil cas, le saloon était interdit aux femmes. Il se résigna alors à aller observer discrètement par les portes battantes. Aisément il grimpa sur un petit tabouret qu'il avait placé à côté des portes, et il se hissa difficilement à bonne hauteur pour voir le spectacle. Malheureusement il comprit que c'était fini en voyant le pianiste rangeait ses partitions. Alors qu'il écoutait la voix d'une femme, il tenta de se pencher mais chuta de son tabouret. A ce moment, les portes s'ouvrirent et Henry eut juste le temps de se couvrir le visage.
Quelques secondes s'écoulèrent puis le garçon baissa timidement les bras, le soleil tapait encore fort à cette heure avancée, et masquait ainsi sa visibilité. L'homme au dessus de lui était couvert de noir. Henry aveuglé baissa les yeux, tout en se retirant du chemin. C'est alors qu'il constata que l'individu avait deux chaînes qui lui serraient les pieds, à peine couverts de deux mocassins. Dans chaque chaîne, une croix différente. Le gamin regarda l'individu partir, les mains dans les poches, les chaînes tintant à chaque pas. Henry retint son souffle, et se mit à courir à toute allure à travers la ville criant à tout va "Papa ! Papa !".
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Le shérif Antrim n'avait pas pour habitude de farnienter, mais il doit avouer qu'en cette chaude nuit d'été, il n'avait pas le coeur à afficher les nouveaux avis de recherche. Après tout ici, les criminels passent sans être vus. Souvent, même, personne ne les attrape et d'eux même ils trépassent. Plongeant son regard par la fenêtre, il contempla la lueur du soleil qui plongeait derrière les grandes collines où se reflètent le rouge de l'astre.
"- Papaaaa ! "
Henry rentra sans prévenir, surprenant quelques adjoints assoupis.
"- Papaaaa paaaapaa !
- Mais calmes toi grand dieu ! Et je t'ai déjà dit que je n'étais pas ton père ! " lui somma le shérif avant de le faire asseoir.
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La population, intriguée d'un tel raffut à cette heure, s'était réunie dans la rue principale. Machinalement, les adjoints, suivant le shérif tels des robots, s'arrêtaient à chaque intersection, fouillant chaque recoin. Le shérif grimpa sur un tonneau, sortit un avis de recherche.
"- Nous recherchons activement ce criminel aperçu il y a quelques minutes sortant du saloon. Nous vous distribuons activement son avis de recherche afin que vous puissiez contribuer à sa capture."
Les gens effarés par la prime du bandit inventaient tas de fumisteries pour obtenir un peu d'argent mais le shérif savait tout ça. Il choppa Nestor par le col :
"- Racontes moi tout.
- Il a pris un whisky, il n'a rien dit, il est parti."
Le shérif pesta, lâchant le pauvre homme. Il cria à ses hommes de continuer de ratisser la ville, "l'enchainé" ne pouvait pas être très loin.
Henry ramassa un avis de recherche à terre, et voyant son beau-père s'afferait et s'en fichait de lui, il partit lui-même à la recherche du bandit.
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Henry n'avait pas vraiment connu son père et avant d'emmenger au Nouveau Mexique, il ne se souvient presque pas de lui. A sa mort, sa mère avait retrouvé un compagnon en la personne de William Antrim, shérif désabusé. A peine un an après leur mariage, Catherine, sa douce mère décéda. William Antrim peu compatissant à la douleur du petit, le garda avec lui mais sans le reconnaître.
Henry avait 15 ans mais il en paraissait beaucoup moins à cause de sa petite taille. On l'appelait l'enfant. Et cela l'énervait.. Oui il possédait une nature attachante mais également une attitude colérique due à son lourd passé.
Il s'arrêta d'un coup, écoutant un clapoti régulier. Un clapoti qu'il reconnaissait. Le bruit singulier que fait une chaîne qui frappe le sol. En fait, non, le bruit pluriel que fait deux chaînes qui frappent le sol..
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